L’amour borgne – Renée Vivien

Je t’aime de mon œil unique, je te lorgne

Ainsi qu’un chinois l’opium :

Je t’aime de mon amour borgne,

Fille aussi blanche qu’un arum.

Je veux tes paupières de bistre,

Et ta voix plus lente qu’un sistre ;

Je t’aime de mon œil sinistre

Où luit la colère du rhum.

Je te suis du regard, lubrique comme un singe,

Ivre comme un ballon sans lest.

Ton âme incertaine de Sphinge

Flotte entre le zist et le zest.

Et je halette vers l’amorce

Des seins vibrants, du souple torse

Où la grâce épouse la force,

Et des yeux verts comme l’ouest.

Ton visage s’estompe à travers les courtines ;

Et tu médites, un fruit sec

Entre tes lèvres florentines

Où s’apaise un sourire grec.

Je meurs de tes paroles brèves

Je veux que de tes dents tu crèves

Mon œil où se brouillent les rêves,

Comme un ara, d’un coup de bec.

L’amour borgne
Poèmes de Renée Vivien

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